L'éveil
Le vent n'avait pas cessé de caresser les collines amaknéennes de tout la nuit lorsque je m'éveillais. J'ouvris l'oeil droit péniblement, aveuglé par un soleil radieux comme si ce fut la première lueur perçue de ma vie, puis le second non sans peine. Allongé sur le flanc, ma vue fit le point progressivement pour passer du flou éblouissant à la pureté de l'aigue-marine et je vis mon bras étendu. J'étais près du phénix. Aux côtés de ce gros balourd d'Hayoross cela va sans dire. Si on me cherchait, mieux valait repérer l'aura de ce iop aussi puissant qu'intellectuellement inerte.
Je me relevais et restais assis et hagard un long moment, fixant l'herbe astrubienne dans un vide cérébral dû à la dernière défaite subie. Défaite honorable néanmoins puisque la mort me frappa tandis que mon bras était armé. J'entendis un grognement animal. Le iop, à la tenue jaune et bleue souillée de sang, se releva rapidement et grommélla on ne sait quel borborygme compréhensible que par lui-même, et encore... Une défaite de plus, me dis-je, mais parmi tant de victoires que je n'avais pas à en rougir. Je suis un sacrieur. Souffrir c'est exister.
Physiquement, je n'imppressionne guère l'ennemi. Certains se plaisent à dire que je suis fluet, ce que je trouve exagéré. Mes muscles saillants prouvent le contraire et mes Punitions en ont occis plus d'un sans que ces derniers aient eu le temps de me supplier de les épargner. Je ne suis pas très grand. Mes cheveux sont longs, noirs et soyeux, entretenus et dissimulés sous mon foulard blanc et noir. Je suis un sacrieur à la posture fière et mon allure générale laisse à penser que je m'occupe de mon apparence sans pour autant tomber dans un narcissisme pathologique. Ma démarche est rapide, franche, décidée tandis que ma voix étrange dessine des phrases lisses, compréhensibles, des phrases qui semblent fouetter l'air d'un claquement autoritaire. Ma voix est relativement aigüe et même si je dois bien avouer que ça m'a géné dans ma jeunesse pour me faire respecter, aujourd'hui quand je parle, on m'écoute. Je n'ai effectivement pas la réputation d'un bout-en-train. Plutôt celle d'un guerrier.
Je jetais un oeil rapide autour de moi, ayant retrouvé tous mes esprits, avant de me relever. J'époustais mes vêtements blancs plus souillés que les haillons d'un tourbassingue et je fis un signe de tête à Hayoross pour qu'il me suive jusqu'au repère de la Cosa Nostra où nous pourrions nous laver et nous restaurer un peu avant de repartir de plus belle pour honorer un nouveau contrat. Nous prîmes donc la route, à pieds comme à notre habitude car ni Hayoross ni moi ne supportons ces maudites dragodindes. Sauf peut-être en sauce et bien cuisinée. Sans doute ma boîte aux lettres abritait-elle un nouveau contrat Triade. Je ne l'ai pas précisé tellement c'est ancré en moi mais je suis mercenaire, un Triadien, c'est viscéral, c'était ma destinée, et pourtant rien ne me prédestinais à le devenir un jour...
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